COLLECTIONNER
SIMENON...
UNE PASSION !
Michel Schepens
Secrétaire de l'association
Les Amis de Georges Simenon.
In Simenon : un autre regard (Lausanne,
L'Hebdo et Editions Luce Wilquin, 1988).
Texte revu par son auteur en août 2001
en vue de sa diffusion dans le présent site
Internet. |
Collectionner, c'est être
passionné, et l'on naît ou l'on est
pas collectionneur.
Cette information, je l'ai maintes fois vérifiée
en observant le comportement de mes amis collectionneurs
et en recueillant les confidences des bouquinistes
et brocanteurs que je fréquente.
Si l'on veut bien admettre que la pire des choses
qui puisse survenir dans la vie d'un collectionneur
est d'aboutir dans les recherches qu'il a entreprises,
c'est-à-dire atteindre l'objectif ultime
qu'il s'est fixé, il faut être rassuré
pour le collectionneur de Simenon qui pourra toute
sa vie se livrer à sa passion sans risquer
d'accéder un jour au but.
Le collectionneur de Simenon a la passion de l'inaccessible.
[Car] « collectionner Simenon », c'est
se lancer dans une quête éperdue
[de près de 500 romans et récits],
des quelque 1'500 contes et nouvelles publiés
dans la presse périodique, des innombrables
articles et interviews qui lui ont été
et lui sont toujours consacrés dans la
presse mondiale, des affiches et photographies
d'exploitation de près de 60 films tirés
de son uvre, des timbres-poste, des ouvrages
de critique littéraire ou des livres de
souvenirs qui consacrent un chapitre à
Simenon, etc.
Si cette nomenclature ne vous a pas encore découragé,
j'ajoute que posséder tous les romans de
Simenon est un objectif parfaitement accessible.
Mais plaçons la barre plus haut, et recherchons
les éditions originales en parfait état.
Vous constaterez que, notamment pour les uvres
parues chez Fayard et Gallimard, il faut une longue
patience. Lorsque cet objectif sera atteint, il
sera excitant de dénicher les exemplaires
de tête publiés sur grand papier,
parfois à cent exemplaires aux Presses
de la Cité, mais seulement à treize
ou trente chez Gallimard
Et si, par extraordinaire, ayant atteint un âge
avancé, vous avez réalisé
la performance de les réunir tous, il restera
l'ultime raffinement de rechercher ces mêmes
exemplaires de tête revêtus d'un envoi
autographe de l'auteur.
Un envoi banal (« avec toute ma sympathie
»), ne pourra vous satisfaire, et l'éventuel
exemplaire en votre possession paraîtra
bien pâle aux côtés d'un exemplaire
identique mais dédicacé «
à André Gide ».
Arrivés à ce stade, vous comprendrez
que les miens remercient chaque jour Georges Simenon
d'avoir fait don de l'ensemble de sa correspondance
et de sa bibliothèque au Fonds Simenon
de Liège. Ainsi les collectionneurs ne
pourront jamais se ruiner dans les ventes publiques
pour acquérir les précieuses lettres
échangées avec André Gide,
Marcel Pagnol et Sacha Guitry ou le manuscrit
des Mémoires intimes ainsi que quelques
textes inédits.
Alors que, dans sa jeunesse, Georges Simenon visitait
la France en sillonnant les canaux, mes itinéraires
favoris passent aujourd'hui par des villes agrémentées
de bouquinistes. Dame, ceux-ci ont peut-être,
quelques jours avant mon passage, mis la main
sur l'exemplaire rare que je recherche
à
condition toutefois d'avoir bien choisi la période
de mes vacances, car tel ami collectionneur, s'il
part une semaine avant moi, aura peut-être
la même idée et raflera ce qui me
revient de droit !
Voici quelques années, les guides gastronomiques
déterminaient mes étapes soigneusement
sélectionnées en fonction de leurs
ressources en restaurants étoilés.
Désormais, je sacrifie le meilleur trois
étoiles au bouquiniste inconnu, dont les
rayons recèlent peut-être quelque
rare originale ou écrit sous pseudonyme.
Et si, d'aventure, la région a été
le théâtre d'une enquête du
commissaire Maigret, je tenterai de reconstituer
un de ses repas et commanderai une mouclade à
l'Aiguillon-sur-mer, en Vendée, une crème
au citron à Bergerac ou un fricandeau à
l'oseille dans une brasserie parisienne. Et, lorsque,
séjournant en Alsace, je déguste
après un repas plantureux une prunelle
du pays, c'est encore pour être le complice
de Maigret.
Collectionner Simenon
une passion, disiez-vous
?
|