ILS (ELLES) ONT DIT...
ET ON VOUS LE RÉPÈTE !


L. PYTHOUD
E. DUMONT
A. PENEL

LE LIVRE : UNE INDUSTRIE
QUI EN FAIT TROP ?


Laurence Pythoud. In « L'oeil », n° 479 de mars-avril 1996.
Etienne Dumont et Alain Penel. In « La Tribune de Genève », des 13-14 mars, 27 avril 1999 et 17 août 2002.


 
Il ne se passe pas de jour sans que le moindre éditeur reçoive des textes. Même si ceux-ci circulent souvent, à la manière de certaines maladies, cela fait beaucoup de tapuscrits et de disquettes à l'avenir obscur. Il ne s'en publiera pas le dixième. Heureusement d'ailleurs. Partout dans le monde, le nombre des ouvrages publiés est en constante augmentation, tandis que les ventes stagnent et que certains prix baissent… Un paradoxe qui – à des degrés différents – désempare éditeurs, libraires et lecteurs.

663 romans sont annoncés par 144 maisons parisiennes et provinciales pour une rentrée littéraire qui commencera le 19 août 2002. L'année dernière, il n'y en avait que 575 pour 120 éditeurs et un 23 août. En une décennie, l'offre aura augmenté de plus de 120%. Les ventes ont certes progressé en France. Elles n'ont pas doublé de volume, comme certaines pâtes alimentaires après cuisson. Les plus grandes craintes naissent donc pour ces 442 fictions françaises et ces 221 traductions, auxquelles s'ajouteront inévitablement les documentaires et les beaux livres. Qui achètera tout ça ?


Bibliophilie.
Ziem Gedichtkopfkissen, texte de
Friederike Mayröcker
(Paris et Mayence, Editions F. Despalles).

In « L'œil », n° 479 de mars-avril 1996.
   


 
Mis en compétition avec d'autres achats, et surtout d'autres loisirs, le livre – parent pauvre – fait presque figure de passe-temps élitaire. Certains spécialistes considèrent même qu'il a plus ou moins retrouvé dans la société actuelle la place qu'il occupait vers 1740, avant le grand boom éditorial de la fin de l'Ancien Régime.

Dans ce contexte, le beau livre est entré sous perfusion. Autrement dit, le glas a-t-il sonné pour la bibliophilie ?

Pas sûr ! La bibliophilie à la française, avec ses critères exigeants (un livre intéressant, beau, rare et en parfait état), conserve son cercle de passionnés qui, contrairement à l'idée reçue, ne se compose pas forcément de gens fortunés.

Depuis les débuts de l'imprimerie (le livre est apparu vers 1455 à Mayence), la forme du livre est restée à peu près la même. Un objet le plus souvent rectangulaire, constitué d'un assemblage de feuilles imprimées…

Autre élément de stabilité, plus étrange celui-ci, le nombre de lecteurs reste stable malgré l'évolution démographique et la démocratisation du savoir.


Livre-objet.
Livre suspendu, par Lucie Meyer.
Assemblage livre et bois.
In « L'œil », n° 479 de mars-avril 1996.
   


 
Le débat sur la définition de la bibliophilie (livre artistique) et du livre d'artiste déchire encore bon nombre de protagonistes. Lorsqu'on parle de bibliophilie, la première idée qui vient à l'esprit est un beau livre, avec un beau papier, un beau texte, de belles illustrations. On évoque volontiers un tirage de tête. C'est donc que l'ouvrage est tiré à plusieurs exemplaires. Cette définition convient cependant aussi au livre d'artiste.

Pour ce dernier, il est dès lors nécessaire de distinguer deux catégories bien distinctes : le livre d'artiste dans sa dimension dite bibliophilique, répondant aux critères évoqués ci-dessus ; et le livre d'artiste unique, qui est un livre-objet, détourné de sa fonction première de livre, et jusqu'à n'avoir plus rien à voir avec la raison d'être même un livre. L'objet créé devient alors une sculpture qui s'approprie les critères qui définissent le livre et utilise ce qui caractérise son rapport au destinataire – le lecteur – pour lui communiquer une œuvre.