ILS (ELLES) ONT DIT...
ET ON VOUS LE RÉPÈTE !


MICHEL BUTOR
AU LIT DU LIVRE

Quel avenir pour le livre ?
Une question que le libraire Jean-Etienne Huret se pose dans l'introduction à son catalogue n° 26 de septembre 2003 et à laquelle l'écrivain Michel Butor suggère une réponse.


 
J'ouvre la page comme un drap et je me glisse au long des lignes jusqu'à la pliure. Je m'étends et détends au fil des murmures, des respirations, des caresses. Les yeux s'ouvrent dans les caractères, des lèvres passent dans les phrases, un duvet d'accents, de points, d'apostrophes frémit sur les répliques et paragraphes. Rousseurs et blondeurs illustrent noirceurs, commentent silences et halètements. Rabattant couvertures et fourrures, je hume la peau du discours, la langue et les dents, les cheveux et les signatures. Empreintes, traces et parfums ; duos et concerts, grands arias de mains ou de jambages. Blues de poitrines, tangos de gorges, fugues et profils de sourcils et nombrils ; rosées d'ombres, liqueurs de nuit, il faudra bien s'arracher à tout cela, replier, refermer, se séparer, partir dans la solitude ou la foule, par les rues et les routes ; mais le sommeil de la lecture nous accompagne à chaque pas et les réverbérations de l'amour illuminent tous nos ennuis.


Cent milliards de poèmes.
Raymond Queneau.
Paris, Gallimard, 1961.
Ce livre est constitué de 14 séries
de 10 languettes de papier.
Chacune porte le vers d'un sonnet.
Ainsi, selon l'auteur, il permet à
chacun de composer à volonté
cent mille milliards de sonnets.
In « Art et Métiers du Livre»,
n° 217 de décembre-janvier-février
1999-2000.