Henry Miller
Quelques repères biographiques



[Portrait : Henry Miller (Whisky, Beat & Poésie).]

  • Henry Miller
    [Source : Henry Miller (Whisky, Beat & Poésie).]

    Ecrivain américain dont l'œuvre combat le puritanisme anglo-saxon, l'hypocrisie bourgeoise et, plus généralement, la civilisation occidentale (et par là même sa culture, ses traditions et ses coutumes, son histoire, ses arts, sa science, ses méthodes d'enseignement et d'éducation; il ne voit partout que la dégradation de l'homme). Il fait l'éloge d'une existence et d'une sexualité libérée.

    Henry Miller nait à New York (U.S.A.) le 26 décembre 1891, de parents d'origine allemande (fils d'un modeste tailleur). C'est un enfant de Brooklyn, et plus particulièrement de la rue dont il fait son domaine. Après de brèves études au City College de New York, il exerce divers petits métiers (notamment chef des coursiers à la Western Union Telegraph Company), qu'ils raconte dans Sexus et qui le mettent en contact avec les types d'humanité les plus variés). Il se marie en 1917, mais quitte très vite son épouse. A l'occasion d'un voyage dans l'Ouest, il fait la connaissance d'Emma Goldman (1869-1940), une révolutionnaire et anarchiste russe d'origine américaine qui publia de 1906 à 1917 « Mother Earth », un mensuel d'opinion extrémiste). Grâce à elle, Miller rencontre Nietzsche, Bakounine, Strindberg et Ibsen.

    En 1922, Miller écrit son premier livre, Clipped wings, resté inédit. L'année suivante, il épouse June Edith Smith (rencontrée dans un palace de Broadway), la seule femme qui ait compté dans sa vie (il a été marié cinq fois !) ; celle aussi qui hante toute son œuvre, la Mona-Mara des Tropiques et de La crucifixion en rose (1949).

    Au cours de cette union qui dura sept ans, Miller, incapable de supporter la moindre contrainte extérieure et autodidacte absolu, fait le serment de ne se consacrer qu'exclusivement à la littérature et s'établit, dès 1930, à Paris, où, pendant dix années, il mène une vie de bohême qu'il évoque dans trois romans autobiographiques : Tropique du Cancer (1934, publié grâce à la contribution d'Anaïs Nin), Printemps noir (1936) et Tropique du Capricorne, (1939). Jugés pornographiques, ces ouvrages sont interdits de publication aux Etats-Unis mais circulent clandestinement et contribuent ainsi à donner à leur auteur une réputation d'avant-gardiste.

    Fuyant la guerre, Miller se rend en à Corfou (Grèce), où l'a invité son ami Lawrence Durrel (romancier et poète britannique) et en rapporte Le colosse de Maroussi (1941), consacré aux simples paysans qui vivent en communion avec l'âme du passé et de l'univers. Ensuite, un voyage à travers les États-Unis en compagnie du peintre Abe Rattner lui inspire Le cauchemar climatisé (1945) et Souvenirs, souvenirs (1947), une féroce diatribe contre la civilisation américaine qui n'a réussit qu'à créer un désert spirituel et culturel. Seuls sont épargnés les anticonformistes, ceux qui ont su préserver leur innocence primitive et résister à l'aliénation de la civilisation industrielle.

    Miller se retire alors à BigSur (son jardin des délices), en Californie, où il mène une vie de reclus. L'écrivain évoquera New York (dans Dimanche après guerre, 1945), la nature paradisiaque, qui incite au retour à la sagesse, à la dignité et à l'harmonie dans l'univers (dans BigSur et les oranges de Jérôme Bosch, 1957). Il rédigera aussi des essais (Le monde du sexe, 1940 ; Les livres de ma vie, 1952 ; The time of the assassins : a study of Rimbaud, 1956) qui révèlent le souci de bâtir une légende personnelle. Il manifeste aussi un vif intérêt pour la peinture, seule apte à appréhender le réel (Peindre, c'est aimer à nouveau, 1960 ; Virage à 80, 1973).

    « Je cherche tous les moyens d'expression possibles et imaginables et c'est comme un bégaiement divin. »

    Souvent jugée scandaleuse parce qu'incomprise, régulièrement qualifiée d'antiféministe, l'œuvre de Miller - presque totalement autobiographique - a exercé une profonde influence sur les écrivains de la Beat Generation.

    Comme les grands écrivains américains de sa génération, Miller est un prodigieux conteur. Mais, par ses élans prophétiques, l'omniprésence dans ses textes du rêve et du fantasme, il s'en démarque profondément, tandis que le sens même de sa démarche artistique reflète une exigence vitale qui l'apparente à Rimbaud. En outre, Miller est un contempteur impitoyable de l'Amérique, de son matérialisme et de la perversité de ses mœurs. L'obscénité, qu'il manie avec une violence incomparable, est d'abord une arme dirigée contre l'hypocrisie de la morale puritaine. Mais elle apparaît aussi, dans une perspective érotique propre à l'auteur, comme un instrument de libération du moi qui dépasse largement l'émancipation sociale.

    Mystique et sensualiste tout à la fois, Miller aspire à une transformation totale de l'homme : une accession à un plan supérieur où, ayant touché au paroxysme de la joie et de la douleur, l'individu pleinement réalisé puisse, avec l'auteur, déclarer :

    — Ma vie n'a été qu'une longue crucifixion en rose (in Nexus, 1960).

    La recherche d'une telle intensité, dans l'existence comme dans la création, lui confère une place unique dans la littérature moderne. Est-il vraiment l'un des responsables de cette libération des mœurs que l'on a observée dans les années 1960-1970 non seulement en Amérique mais aussi dans le monde occidental tout entier, ou ne l'a-t-il que prévu avec beaucoup d'acuité ?

    Toute la question de l'importance et de l'influence de l'écrivain est ainsi formulée. Après que les hippies , ainsi que la plus grande partie de la jeunesse américaine en révolte, eurent été sous les feux de la rampe, on a perdu de vue le rôle capital qu'a eu Miller dans l'ébranlement, non seulement du puritanisme, mais de toute cette société étriquée du XIXe siècle qui se perpétue dans le XXe.

    On dit que les jeunes ne lisent plus Miller ou presque pas. Mais ils lisent Kerouac, Ginsberg, Mailer, Corso, Ferlinghetti, qui tous sont issus (presque) directement de Miller. Bien sûr, avant Miller, il y avait eu D. H. Lawrence. Mais il faut savoir mesurer la distance entre les deux, qui n'est rien de moins qu'énorme. Kate Millett (Sexual politics), qui ne peut certainement pas être accusée de préjugés favorables, puisqu'elle condamne Miller au nom de la femme, dit que Lawrence aurait probablement été scandalisé par lui. On oublie peut-être que, en s'attaquant avec une telle férocité aux mœurs sexuelles, Miller s'en prenait en toute connaissance de cause au fondement même de l'édifice social, qui pour lui emprisonne l'homme. Il le dit clairement dans Tropique du Cancer.

    Si les jeunes ne le lisent plus, en cela même ne sont-il pas fidèles à cet aspect tellement anti-littéraire de Miller, où l'art, dit-il, doit être le fait de chacun ? Cet autre aspect typiquement "millérien", les jeunes le mettent de plus en plus en pratique. Miller n'en est pas moins de la taille de ces géants authentiques qui dépassent leur époque, pour aider à la création de celles à venir, et qui ne peuvent être jugés à leur vraie mesure qu'avec beaucoup de recul.

    Henry Miller meurt à Pacific Palisades, Californie (U.S.A) en 1980.

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