La femme du pilote
Nouvelle

  • Rédaction
    Nieul-sur-Mer (Charente-Maritime, France), en 1940 [ ? ].


  • Manuscrit
    [ ? ].


  • Publication d'une préoriginale
    Dans l'hebdomadaire « Gringoire », n° 617 du 3 octobre 1940 ; p. 4.







    La femme du pilote, 1940.
    Publication en préoriginale.



  • Edition originale
    In Le bateau d'Emile (Paris, Gallimard, N.R.F., 1954).


  • Réédition(s) en français

    [En préparation].


  • Edition(s) collective(s) en français
    Liste non exhaustive

    In Œuvres complètes (Lausanne, Editions Rencontre, 1967-1973) - tome 26.
    In Tout Simenon (Paris, Presses de la Cité, 1988-1993) - tome 25.
    In Tout Simenon (Paris, Omnibus, 2002-2004) - tome 25.


  • Traduction(s)
    Liste non exhaustive

    En allemand :
    [ ? ] : [ ? ].

    En anglais :
    [ ? ] : [ ? ] (première édition américaine).
    [ ? ] : [ ? ] (première édition anglaise).

    En italien :
    [ ? ] : [ ? ].


  • Intrigue
    A Rouen (Seine-Maritime, France), Mme Dutrillaut, dont la vie s'écoule dans une cuisine humide, fait des prodiges pour nourrir avec un budget trop juste une famille mal portante. Pour elle, il n'y a cependant rien de plus triste au monde que le sort de son locataire, M. Porel. Et ce non pas parce qu'il vit seul, mais parce que son travail l'oblige à dormir tantôt la nuit et tantôt le jour. En effet, Julien Porel pilote des bateaux qui descendent la basse Seine avant de s'engager dans l'estuaire.

    Le 29 de chaque mois, c'est le tour de l'Ada, dont M. Popinga, un Hollandais, est le capitaine. A cette date, Porel commence sa neuvaine de boissons : c'est que, trois ans, plus tôt, Popinga lui a pris sa femme, Madeleine. Depuis, les deux hommes ne se parlent plus. Ce qui n'empêche pas Porel de piloter l'Ada ; mais pendant les neuf jours que dure le trajet, il boit.

    Il commence au Café Louis, à cent mètres du port, où, debout le dos au poêle, avale trois verres de calvados au lieu d'un. Voilà pour la première partie de la nuit. Il se rend ensuite au poste de pilotage pour prendre sa feuille, puis dans la cabine du bateau. Le cruchon de genièvre est prêt, sur la table des cartes.

    L'Ada glisse le long du fleuve et ses machines ronronnent doucement. Porel regarde devant lui un paysage toujours pareil. Derrière lui, vêtu comme lui d'un ciré, casquette de marin sur la tête, le capitaine Popinga. Ils fixent les mêmes feux, évitent les mêmes sables et guettent le mascaret sans échanger la moindre parole.

    C'est entre le fanal de Caudebec et celui de Villequier, là où une bonne portion du fleuve est sans danger, que Porel sent qu'il y a quelque chose d'anormal… Une gêne à peine sensible, comme quand, en rentrant chez soi, on devine confusément que des objets ont été dérangés. Soudain, il se tourne. Son regard plonge dans la cabine du capitaine. Sur la cloison, au-dessus de la toilette, il y a une aquarelle représentant un paysage de montagne, sans doute le mont Blanc. A ce moment, Popinga tousse. Parce qu'il est embarrassé. Parce qu'il a quelque chose à dire et qu'il ne sait pas comment s'y prendre…

    Le tableau remplace la photographie de Madeleine : elle est jeune, mignonne, avec des taches de rousseur, une bouche charnue et un regard effronté, une certaine vulgarité savoureuse. Porel l'avait épousée et lui avait présenté Popinga, quand le capitaine était devenu presque un camarade et qu'il l'emmenait prendre un verre à la maison. Un jour, il les a surpris dans les bras l'un de l'autre. Il avait divorcé, s'était cherché une pension de famille et installé chez les Dutrillaut, qui étaient bons pour lui. Il se croyait tranquille, menait à nouveau la vie calme d'un célibataire et avait des habitudes qui finissaient par remplir son existence. Sa chambre… le Café Louis… la cabane des pilotes… les bateaux et les marées… le 29 de chaque mois, l'arrivée et le départ de l'Ada… la photographie dans la cabine du capitaine…

    Or la photographie n'est plus là. Madeleine a donc quitté Popinga, qui lui apprend qu'elle habite désormais à Anvers (Belgique). Porel lui écrit, et lui propose de revenir vivre avec lui à Rouen. Madeleine lui répond qu'elle accepte, avouant avoir changé et jamais oublié…

    Alors Porel loue une petite maison, achète des meubles modernes, prépare des provisions. Les retrouvailles s'annoncent bien. Il va l'attendre à la gare. Elle descend du dernier wagon, tellement semblable à ce qu'elle était trois ans plus tôt que c'en est hallucinant. Elle se tient au milieu de paquets de toutes sortes et s'avance vers lui. Elle l'embrasse, se suspend à son cou, rit d'un rire un peu nerveux…

    Julien conduit Madeleine en taxi à leur maison. Elle s'extasie devant le mobilier, l'embrasse à nouveau. Elle hésite, ne sait pas encore jusqu'où elle peut aller. Elle le guette, sourit, de son sourire humide, porte les mains à son corsage. Elle est là, pleinement elle-même, plus elle-même que jamais, avec ses yeux, sa chair, ses lèvres ourlées, ses taches de rousseur et son rire…

    Ils font l'amour, puis Julien descend à la cuisine chercher à manger. Lorsqu'il remonte dans la chambre avec un plateau, Madeleine est toujours étendue sur le lit.

    — On a entendu, en même temps qu'un bruit de vaisselle cassée, un cri terrible, un cri sauf votre respect, monsieur le juge, comme quand on égorge une bête…

    Porel est assis en face du magistrat :

    — Je voulais la reprendre… J'avais tout arrangé… C'est quand je l'ai vue comme ça… Je ne peux pas vous expliquer… Je ne sais pas… Je l'ai étranglée… Je vous demande bien pardon, monsieur le juge…




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