Le naufrage de l'Armoire à glace
Nouvelle

  • Rédaction
    Fontenay-le-Comte (Vendée, France), en 1941 [ ? ].


  • Manuscrit
    [ ? ].


  • Publication d'une préoriginale
    Dans l'hebdomadaire « Gringoire », n° 643 du 3 avril 1941 ; p. 5.







    Le naufrage de l'Armoire à glace, 1941.
    Publication en préoriginale.



  • Edition originale
    In La rue aux trois poussins (Paris, Presses de la Cité, 1963).


  • Réédition(s) en français

    [En préparation].


  • Edition(s) collective(s) en français
    Liste non exhaustive

    In Œuvres complètes (Lausanne, Editions Rencontre, 1967-1973) - tome XXV.
    In Tout Simenon (Paris, Presses de la Cité, 1988-1993) - tome 12.
    In Tout Simenon (Paris, Omnibus, 2002-2004) - tome 12.


  • Traduction(s)
    Liste non exhaustive

    En allemand :
    [ ? ] : [ ? ].

    En anglais :
    [ ? ] : [ ? ] (première édition américaine).
    [ ? ] : [ ? ] (première édition anglaise).

    En italien :
    [ ? ] : [ ? ].


  • Intrigue
    Dans ce paradis terrestre qu'est l'ìle de Porquerolles (Var, France), à quelques milles au sud d'Hyères l'endormie, on raconte de différentes manières le naufrage de l'Armoire à glace. Qu'on s'adresse au grand patron Grimaud, à Tadot Tête de Pirate, à l'Entrouille, à Maurice la Bouillabaisse ou à n'importe quel autre de ces joueurs de boules qu'on trouve à l'ombre des maigres eucalyptus de la place, chacun à sa vérité. Personne ne ment, mais faute de connaître la vraie vérité, ils inventent des vérités.

    Le gros Boussus est arrivé au port vers six heures du matin, en pyjama douteux, les pieds sales dans ses espadrilles, un chapeau de paille en forme de casque sur la tête, ni rasé, ni débarbouillé. Dans son panier, une bouteille de vin rosé, un pain, une boîte d'anchois et une tranche de Roquefort. Comme presque tous les matins, il monte à bord de son bateau, la Girelle royale, plus connu sous le nom d'Armoire à glace, en raison de la cabine que Boussus a construite pour y loger une armoire, une glacière en miniature, des coussins.

    Boussus pêche toujours au même endroit, aux Mèdes, à l'extrême pointe de l'île, hors de vue de toute habitation. A vingt mètres du bord, une aiguille de roche émerge de l'eau profonde. Son parasol dit-il volontiers, parce que cette roche lui fait de l'ombre.

    A neuf heures, il a déjà sorti une quarantaine de poissons — girelles, sérans, rascasses — et la bouteille de rosé est largement entamée. Quant à la boîte d'anchois, elle est vide. Le soleil est déjà haut dans le ciel, la mer sans une ride, soulevée par une houle plate et lente comme le sein d'une jeune femme émue.

    Pas une âme en vue, pas le moindre bourdonnement de moteur. Personne à terre ou sur la mer. Et pourtant, une voix appelle soudain :

    — Mimile !...

    Dans son pliant, Boussus ne sursaute pas. Il se dit simplement : Je le savais. Personne, depuis vingt-cinq ans, ne l'a appelé Mimile. Personne, à Porquerolles, ne sait que, jadis, c'était son surnom. Et personne ne se trouve dans le champ de son regard.

    — Mimile…
    — C'est toi… prononce Boussus.

    Des mois que Boussus épie les étrangers qui débarquent dans l'île, se demandant s'il reconnaîtrait un homme qui avait vingt-deux ans lors de leur dernière rencontre et qui était maigre comme un chat de gouttière. Combien de temps depuis ? Vingt-cinq ans… Vingt-cinq ans de bagne, là-bas, en Guyane… Et comment Mauvoisin se présenterait-il ? Haineux, féroce, impatient de se venger ?

    Douze bagnards, parmi les plus dangereux, viennent de s'évader de la Guyane et ont tenté de passer au Venezuela à bord d'un canot. Sept d'entre eux ont été dévorés par les requins. Parmi ceux qui sont parvenus à atteindre l'île Sainte-Marguerite, exténués, affamés, sans eau depuis huit jours, on cite Jules Mauvoisin, l'assassin du caissier des Tréfileries de Saint-Quentin… avaient imprimé les journaux.

    A l'époque, Jules Mauvoisin tenait un garage. C'était le 30 du mois… M. Michel, le caissier des Tréfileries de Saint-Quentin, était allé à la banque chercher la paie des milliers d'ouvriers et d'employés de l'usine… Il circulait sur son vélomoteur et s'était arrêté chez Mauvoisin : plus d'eau dans le carburateur... Dans la sacoche du vélomoteur, des centaines de milliers de francs en billets… Mauvoisin a frappé le caissier avec une clef anglaise sur le crâne… Boussus n'a pas vu le drame : lorsqu'il est arrivé chez Mauvoisin, celui-ci venait de cacher le corps dans un placard… Ensemble, ils ont ficelé le corps de M. Michel dans un sac à charbon et, en camionnette, sont allés le jeter dans le canal… Huit jours après, la police s'est mise à regarder le garagiste de travers… Jules Mauvoisin confia les sept cent mille francs de la sacoche à Boussus pour qu'il les garde pendant l'enquête… C'est alors que Boussus écrivit la lettre anonyme qui permit l'arrestation de Mauvoisin… Et garda pour lui les sept cent mille francs de son ami…

    Dans son rêve, Boussus entend la voix de Jules Mauvoisin. Elle est douce. D'une douceur telle que… C'est si simple ! Si gentil ! Si facile ! Le forçat se montre philosophe : C'est si vieux, tout ça… Boussus ouvre les yeux… Il se lève à demi pour retirer un des boulantins qu'il n'avait pas lâché dans son sommeil… Et à nouveau cette voix :

    — Mimile !...

    La voix ne vient pas de la mer, mais de la terre, de cette pointe des Mèdes qui n'est qu'un rocher nu dans le soleil.

    — A toi, Mimile, hé, crapule !...

    C'est tout. Boussus entend vaguement une détonation. Il bascule et voit un instant, de plus près, le fond bleuté où nagent les girelles.

    On ramènera l'Armoire à glace la quille en l'air. Un pêcheur d'oursins retrouvera le corps entre deux eaux. Le soir, le docteur qui examine Boussus découvre un petit trou rond à la tempe : il a été tué par une balle de revolver. Pour l'enquête des policiers viennent de Hyères et de Toulon.

    On finit par apprendre qu'un type, avec une sale tête, a débarqué le matin du Cormoran. Il repartit par le bateau de trois heures et riait tout seul. Entre-temps, en passant devant la ferme Notre-Dame, il a demandé à un gamin où était M. Boussus…




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