« Mon cher Dard... »
Lettre-préface

  • Rédaction
    Tucson (Arizona, U.S.A.), en octobre 1947.


  • Manuscrit
    [ ? ].


  • Publication d'une préoriginale
    Aucune.


  • Edition originale
    In Au massacre mondain (roman), de Frédéric Dard.
    Achevé d'imprimer : 3 janvier 1948.
    Lyon, Editions P. Châtelet ; 19 x 12,5 cm, 234 p. ; couverture illustrée en couleurs.
    Collection « Destins », n° 1.

    Tirage de tête
    60 exemplaires sur papier spécial, dont 5 exemplaires marqués de A à E, 20 exemplaires numérotés de VI à XXV et 25 exemplaires numérotés de 26 à 50.

    L'illustration de la couverture est la même pour les deux tirages (de tête et courant).


      « Mon cher Dard... », lettre-préface de Georges Simenon.
    Frédéric Dard -
    Au massacre mondain, 1948.
    Edition originale.


  • Remarque(s)
    « Mon cher Dard... » est le premier des deux textes que Simenon a consacrés au romancier français. Le second s'intitule Lettre à Frédéric Dard.

    Georges Simenon et Frédéric Dard ont réalisé ensemble l'adaptation théâtrale de La neige était sale, un roman du premier nommé (1951).

    Frédéric Dard : quelques repères biographiques.


  • Texte intégral
    Mon cher Dard,

    Vous me demandez une préface pour votre roman Au massacre mondain, qui s'en passerait fort bien, et ceci, si vous voulez, en tiendra lieu, car je préfère parler de vous sous une forme plus personnelle.

    Voilà plus de dix ans, je pense - je n'ai jamais eu la mémoire des dates et tant d'événements se sont produits depuis - je donnais au bon vieux Théâtre des Célestins, à Lyon, une des rares conférences qu'il me soit arrivé de prononcer. Je revois fort bien le rideau rouge, les coulisses poussiéreuses, mais je revois surtout un jeune homme blond, maigre et nerveux, venu pour m'interviewer.

    Je le revois d'autant mieux que cet adolescent, journaliste à l'âge où d'autres chahutent encore au collège, me rappelait un autre adolescent, presque pareil - sauf les cheveux plus clairs - mais aussi tendu, aussi piaffant, aussi douloureusement impatient, non seulement d'écrire, mais de vivre.

    Nous en avons parlé ce soir-là, car l'interview a duré une bonne partie de la nuit, dans les caboulots et les ruelles de Lyon, et a repris le lendemain jusqu'au départ de mon train.

    Au fait, vous ai-je revu depuis, je veux dire en chair et en os ? Je ne le pense pas. Mais vous m'avez écrit et je vous ai écrit.

    Et toujours je me revoyais moi-même courant les conférences dans une ville qui ressemble à la vôtre, une ville dure, d'industrie, de commerce et de pluie, d'artisans et de petites gens, de rues étroites et de pavés inégaux, d'ardeurs inoubliables et d'espoirs insensés.

    Je ne savais pas ce que vous écririez, mais je savais que vous écririez. Et je savais que ce serait ni mou, ni fade, ni léché.

    J'ai reçu de vous, depuis, des œuvres qui m'ont donné la petite satisfaction - bien innocente, n'est-ce pas ? - de ne pas m'être trompé.

    J'ai reçu aussi des pages qui m'on procuré des satisfactions - des joies - plus substantielles, entre autres un chapitre que je n'oublierai jamais, la mort d'un lâche (La Crève), quelques pages d'une vie, d'une dureté, d'une sobriété qui n'appartiennent d'habitude qu'aux maître ou à ceux qui le deviendront.

    Je viens de recevoir et de dévorer, parmi les cactus de l'Arizona, ce livre que vous avez la gentillesse de me faire préfacer et qui va bientôt paraître.

    Je ne suis pas critique. Je crois que le romancier est par définition un fort mauvais critique. D'autres, demain, éplucheront votre livre.

    Moi, j'ai simplement connu le jeune homme et j'ai la chance, petit à petit, par ses lettres et par ses œuvres, d'assister à sa transformation.

    Le jeune homme, mon cher Dard, a tenu ce qu'il promettait et je suis sûr qu'il continuera à tenir ce qu'il promet aujourd'hui : une longue et dure carrière de quelqu'un qui n'a pas choisi les voies faciles mais tire son ivresse d'une lutte de tous les jours avec la vie. Et cela se sent, je vous jure !

    Vos lecteurs d'aujourd'hui seront, je pense, de mon avis.

    Vos lecteurs de demain et d'après-demain aussi.

    Permettez-moi de vous confier, pour vous et pour eux, un petit mot que je pense ne pas vous avoir encore dit, à vous à qui j'ai dit si librement tant de choses : lorsque, épuisé et les genoux encore tremblants, la poitrine serrée, — vous connaissez ça, — je termine un roman, invariablement je m'écrie :

    — Au boulot !

    Je vous dit la même chose, fraternellement :
    — Allons, Dard, au boulot !

    … Il y a d'autres et d'autres romans à venir !

    Georges Simenon,
    Tucson (Arizona), le 20 octobre 1947.

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