Maigret reprend du service
Article

  • Rédaction
    [ ? ].


  • Manuscrit
    [ ? ].


  • Publication d'une préoriginale
    In « Le Jour » (quotidien), du 19 janvier 1934.


  • Edition originale
    In La vraie naissance de Maigret, de Francis Lacassin.
    Achevé d'imprimer : septembre 1992.
    Monaco, Editions du Rocher ; 22,5 x 14 cm, 168 pages.
    Pas de grands papiers, ni de tirage numéroté.



     
    Francis Lacassin, La vraie naissance de Maigret, 1992.
    Contient : Maigret reprend du service.
    Edition originale.


  • Contexte
    Ce texte publié dans « Le Jour » 1934, présentait le roman Maigret à paraître en feuilletons dans ce quotidien (du 20 février au 15 mars 1934). Il n'a pas été reproduit dans le volume publié en mars 1934 par l'éditeur A. Fayard. Rappelons que Simenon croyait avoir terminé la série « Maigret », en avril 1933, avec L'écluse n° 1. Certain donc de s'être débarassé de son personnage, il le montre à la retraite dans le feuilleton intitulé symboliquement Maigret.


  • Remarque(s)
    Lire aussi les notices suivantes :

    A la retraite, le commissaire Maigret ! (1937) ;
    Un frère aîné de Maigret (1963) ;
    La naissance de Maigret (1966) ;
    Lettre à Maigret pour son cinquantième anniversaire, 1979 (1979) ;
    Simenon, répondez ! (1952).


  • Texte intégral
    Comme pendant les répétitions d'Hernani, Victor Hugo, excédé par l'attitude de Mlle Mars, lui réclamait froidement son rôle de Doña Sol, l'illustre commédienne demanda :
    — Mais à qui donc le donnerez-vous ?

    — A n'importe qui, répondit Hugo avec calme. A Mlle Despréaux, par exemple. Elle n'aura pas votre talent. Mais elle jeune. Elle est jolie. Sur trois conditions que le rôle exige, elle en possède deux.

    Je pense que c'est l'histoire de beaucoup de choses et, parmi elles, du roman policier. Ou, plutôt, en matière de roman policier, la situation est exactement à l'inverse de celle de Mlle Despréaux.

    Ils ont tous du talent !

    Et ce sont les deux autres conditions qui font défaut, à savoir, en l'occurrence : connaître la police et connaître les assassins.

    Que dirait-on d'un auteur qui intitulerait ses œuvres romans paysans et qui, n'ayant jamais quitté le XVIIIe arrondissement, ne mettrait en scène que des paysans de fantaisie ?

    De celui qui, écrivant des romans militaires, confondrait les grades et se tromperait dans les détails de la vie de caserne ?

    De celui, encore, qui, de son village de la Garonne ou du Rhône, prétendrait nous initier aux coulisses du journalisme parisien et aux mœurs des grands critiques littéraires ?

    Or, combien, parmi les romanciers policiers, ont vu de près un assassin, un inspecteur de police, ont suivi une enquête de bout en bout ?

    Je réponds sans hésiter : aucun !

    Parce que, dans le cas contraire, il n'y aurait plus de romans policiers.

    Parlez à tort et à travers d'un menuisier, par exemple, ou d'un pêcheur de morue. Un critique, au moins, sur dix s'apercevra de votre ignorance et la soulignera vertement ; vous recevrez cent lettres ironiques ou indignées de menuisiers ou de pêcheurs.

    Aucun danger de ce genre avec les assassins, qui n'ont pas l'imprudence de s'indigner. Ni avec les policiers, qui ne lisent pas.

    Et c'est pourquoi, sans doute, les mêmes critiques, si sévères sur le chapitre de la grammaire, des dates historiques, de la géographie, ou de la simple vraisemblance psychologique quand il s'agit de romans tout court, parlent chaque semaine d'une demi-douzaine de romans policiers comme si c'était du bon pain.

    Un état d'esprit s'est créé. Il y a déjà des poncifs : l'inspecteur qui fume la pipe, le journaliste débrouillard qui fume des maryland et l'amateur de luxe qui collectionne des jades et fume des cigarettes orientales.

    Poncifs aussi du côté des assassins : le Chinois, le vieux maniaque, l'inquiétant délégué des soviets, le médecin cynique et l'Anglais bigame qui a vécu aux Indes.

    Poncifs des décors. Poncifs de l'action. A quoi bon les citer ? Vous les connaissez mieux que moi.

    Et pourtant, me direz-vous, la mort d'un homme est à la base de toute œuvre littéraire, ou presque, que ce soit la tragédie antique ou classique, le drame romantique ou le roman d'aujourd'hui.

    Quel plus beau thème, alors, que la mort d'un homme, sciemment provoquée par un autre homme ! Et que les transes de celui-ci, rusant avec ses semblables pour échapper au châtiment !

    C'est grandiose. Ou plutôt c'était grandiose avec Hugo, qui remplaçait les détectives par l'œil de Dieu sur la piste de Caïn.

    Les assassins ne sont pas Caïn. Ce sont des voyous, des dégénérés, ou encore de pauvres hommes affolés qui ont esquissé le geste fatal.

    L'œil de Dieu, dans la réalité, est représenté par des fonctionnaires qui font ce qu'ils peuvent, comme tous les fonctionnaires.

    Il faut choisir entre les trois conditions : de l'art d'une part ; de vrais criminels et de vrais policiers de l'autre. C'est-à-dire : écrire un livre qui fasse rire tous ceux qui se connaissent en coup de revolver et filatures, ou écrire un livre qui ressemble aux Mémoires d'un ancien commissaire de police.

    J'ai choisi. Quand, après une vingtaine de romans, je me suis aperçu que je penchais plutôt du côté de l'œil de Dieu que du côté du quai des Orfèvres, je me suis arrêté et j'ai passé à d'autres exercices.

    On m'a envoyé des tas de lettres. On m'en a voulu. « Le Jour » m'a demandé de faire revivre Maigret pendant quelques semaines.

    J'ai juré, auparavant, que c'était la dernière fois !

    Et j'ai essayé de raconter une histoire policière - un roman malgré tout ! - qu'il soit possible de lire à haute voix devant un inspecteur de la P.J. sans que l'hilarité fasse sauter ses boutons de gilet.


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